Résumé
Une sorte d’étrange pudeur consiste à draper le fait managérial, soit dans l’évidence technique des objectifs de « bonne » gestion, soit dans l’évidence morale de l’impératif de « bienveillance » envers les équipes.
A distance de la taxonomie habituelle de la sociologie du travail ou des organisations, cet essai prend le pari d’oser exprimer philosophiquement ce qu’il en est du management, non pas comme une donnée aperçue de l’extérieur, mais, phénoménologiquement, comme une expérience vécue de l’intérieur. La réflexion est conduite dans sept directions différentes - une « disposition des matières », pour parler comme Pascal, en dentelle : mais le geste managérial n’est-il pas chose trop délicate pour dispenser du soin que l’on prend lorsque l’on touche à la dentelle ? Pour se guider dans la complexité labyrinthique du sujet, une métaphore, empruntée à Vladimir Jankélévitch : l’image musicale de la « rhapsodie ».
L'auteur
En plus d’être directeur de l’Ile-de-France, Clément est Philosophe, agrégé d’anglais et ancien élève de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, Clément Bosqué exerce depuis plus de dix ans des fonctions de direction dans différents établissements sociaux et de formation (Département des Hauts-de-Seine, Institut Régional de Travail Social Île-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne). Il est l’auteur d’un roman, de nombreuses chroniques ainsi que d’articles sur l’éthique et le management. Clément Bosqué a publié un “Petit traité sur la fonction de direction” (2021) et “L’art de diriger, contre toute attente” (2022) aux éditions Champ Social.
Extrait de texte
S’il y a bien une fonction, une activité, en un mot une praxis qui se prête au questionnement, c’est bien celle de « manager ». J’irais volontiers jusqu’à dire que cette praxis doit être, non seulement l’objet, mais le sujet du questionnement. En un mot, assez de penser le « management » : le manager doit être un penseur. Et je postule qu’il y a, certes quelque effort, mais aussi une joie à penser, joie dont, par parenthèse, les managers et leurs équipes ont bien besoin.
Pourtant, combien les apparences semblent me donner tort ! On entend dire fréquemment, dans le milieu professionnel, en particulier dans les métiers de l’action, et donc chez les managers, qu’il ne faudrait « pas trop intellectualiser ». Et on dit : « pas trop », pour dire: « pas du tout ». Comme si penser l’action allait gêner l’action. Comme si le temps passé à réfléchir n’était qu’une perte de temps. Mais ce pragmatisme de capucin n’est-il pas une excuse pour ne penser... à rien, et s’exonérer des conséquences néfastes d’actions irréfléchies ?
La sagesse antique ne voulait pas choisir entre action et contemplation, faisant dire à un Sénèque que «l a Nature nous a fait naître pour ces deux fins : la contemplation des réalités et l’action ». Et ils semblent animés par cette même conviction, ceux qui déplorent : « On n’a plus le temps de penser. » Mais qu’est-ce à dire que si on avait le temps, on penserait ?